- ITINÉRAIRE SPIRITUEL
- ITINÉRAIRE SPIRITUELITINÉRAIRE ou VOYAGE SPIRITUELVisite de l’au-delà dès ce monde et route vers l’au-delà dans ce monde répondent à la même démarche spirituelle. Dans toutes les grandes civilisations est attestée l’unité de ces deux fonctions mystiques du voyage chamanique du double et du cheminement initiatique. Ainsi, la littérature de l’ancien Orient a fait passer les errances pittoresques de l’épopée (Gilgamesh, Samson, Ulysse) à une intériorisation du nomadisme. Dans la Bible, par exemple, d’Abraham à Moïse et à la Diaspora, où s’illustrent Habacuc et Tobie, tout voyage est un itinéraire. Par ailleurs, le couple plotinien exitus-reditus sous-tend la philosophie classique de tout «voyage» dans le créé, visible et invisible.Il est donné à certains hommes de visiter l’au-delà, puis de revenir sur terre pour décrire aux autres ce qu’ils ont vu: sur cette fiction sont bâtis d’innombrables textes sapientiaux de l’Orient et de l’Occident. Le Livre des morts de l’ancienne Égypte raconte les étapes du voyage des âmes; les descentes aux Enfers d’Ulysse (XIe chant de l’Odyssée ) et d’Énée (VIe chant de l’Énéide ) révèlent le destin des morts et annoncent celui des vivants: Énée voit même l’histoire de Rome. Dans les débuts du christianisme, on fait dire à Lazare ce qu’il a vu dans la mort; dans l’apocryphe Évangile de Nicodème , un mort ressuscité en même temps que Jésus raconte la Descente du Christ aux Enfers. L’Apocalypse de Pierre et la Vision de saint Paul (IIIe-IVe s.) seront la base des voyages spirituels du Moyen Âge, soit dans des traductions (en toutes les langues de la chrétienté), soit dans des adaptations: vies de saints, sermons, récits en vers... Grégoire le Grand en donne l’exemple au IVe livre des Dialogues (début du VIe s.; il en reste une traduction anglo-normande du XIIe s.). La description de l’Enfer est toujours plus précise et pittoresque que celle du Paradis: voulant mettre en garde et retenir, la prédication impressionne et menace. Les voyageurs mis en scène sont en général des simples, des clercs et surtout des moines; les auteurs carolingiens n’hésitent pas à attaquer leurs ennemis ou à les appeler à résipiscence en affirmant les avoir vus, eux ou leurs parents s’il s’agit de rois, dans les tortures: ainsi Hetto de Reichenau dans la Visio Wettini que met en vers Walafrid Strabon. Les adversaires de la dynastie carolingienne mettent Charlemagne en Enfer! L’adéquation des punitions aux fautes élabore peu à peu une géographie plus précise de l’Enfer et une morale plus subtile, qui culminent dans La Divine Comédie de Dante. L’Enfer est aussi le lieu littéraire de la fabrication du feu, de la métallurgie et de la technique. Un grand pas est fait au cours du XIIe siècle, quand apparaît le Purgatoire entre Enfer et Ciel, au confluent d’une tradition irlandaise, qui situe au cœur des îles lacustres d’Irlande un Purgatoire verdoyant d’attente tranquille, et d’une tradition orientale, qui loge un lieu de tortures à l’intérieur de l’Etna ou du Stromboli. Du Purgatoire de saint Patrick il existe d’innombrables versions en toutes langues, en particulier celle qu’on attribue à Marie de France (1190), en anglo-normand. Toutes reposent sur le Tractatus de Purgatorio Sancti Patricii (1185 env.) du moine H. (Henri?) de Saltereye. L’iconographie représente souvent le Voyage dans l’au-delà, bien après la fin du Moyen Âge encore.Le XIIe siècle cistercien, nourri de spiritualité augustinienne et de mépris du monde, a infléchi le chamanisme, auquel on ne veut plus croire, en parcours du pécheur vers la conversion. Mais le songe, si fréquent dans l’Évangile selon saint Matthieu, rétablit l’unité des deux circuits. Les guides de pèlerinage à Jérusalem, Saint-Jacques, Rome ou La Mecque servent ordinairement de manuels de «spiritualité», telle la Peregrinatio de la nonne Éthérie (VIe s.).Les Confessions de saint Augustin sont le premier et le plus célèbre écrit chrétien qui retrace l’itinéraire spirituel d’un individu, pécheur, converti, pasteur. Un itinéraire spirituel est, le plus souvent, le récit d’une expérience personnelle et un guide pour autrui. Il peut reposer sur la métaphore de l’échelle ou de la navigation, le plus souvent sur celle de la route qui conduit à Dieu; ainsi, l’Itinéraire de l’âme à Dieu (Itinerarium mentis ad Deum , 1259) et la Triple Voie (De triplici via ) de saint Bonaventure, de la conversion à l’extase, sont marqués des étapes à suivre dans la vie spirituelle. Avec les franciscains, l’itinéraire devient une sorte de genre dans la littérature pieuse: il faut citer la Route ou régime du salut (Via seu diaeta salutis ) de Guillaume de Lanicia (mort avant 1310), les Sept Itinéraires de l’éternité (De septem itineribus aeternitatis ) de Raoul de Biberach (mort en 1350), qui furent les manuels d’ascétique et de spiritualité de la fin du Moyen Âge, et le Directoire des contemplatifs (1475) de Harphius. L’itinéraire se confond dès lors avec les autres genres didactiques, miroirs, guides, etc. Les voyages, réels ou imaginaires, du XIIIIe et du XIVe siècle gardent le parfum et l’unité du genre devenu classique, voire éculé. Mais le Pèlerinage de la vie humaine de Guillaume de Digulleville, au début du XIVe siècle, qui connut un extraordinaire et durable succès, résume au mieux ce triple aspect de guide, de miroir biographique du progrès intérieur et de l’illumination d’au-delà. C’est sous la forme d’itinéraire que s’exprime volontiers la mystique persécutée au XVIe siècle dans toutes les Églises occidentales, mais aussi la volonté de direction de l’orthodoxie: citons le Guide des pécheurs (Guia de pecadores , 1555) de Louis de Grenade et l’Introduction à la vie dévote (1608) de saint François de Sales.À l’époque contemporaine, le «voyage intérieur» réapparaît, notamment dans la quête exprimée par Jack Kerouac et les auteurs de la beat generation , mais aussi en mystique et en poésie, avec André Breton et bien d’autres interprètes de ce thème.
Encyclopédie Universelle. 2012.